On entend souvent dire que les poils sur les filles, c’est moche, c’est sale. Les femmes sont sans cesse rappelées à une norme bien étriquée : leur corps doit être sans poils, on leur apprend à en avoir honte, à les chasser, les cacher, les arracher. Le poids de ce diktat est très imprégné dans notre société et n’est pas sans conséquences, tant d’un point de vue physique que psychologique.
La pression du corps sans poils
Les magazines, les pubs pour l’épilation, les moqueries au collège, les réactions quand on parle de « non-épilation », les salons dits « d’esthétique » où l’on se rend pour se faire épiler, qui nous ramènent à une notion de beauté dans le fait d’enlever ses poils, la représentation de la femme en général, partout, tout le temps, nous apprennent et nous conditionnent sur le fait que les poils, c’est moche, c’est sale et qu’il faut les enlever, à n’importe quel prix.
Garder ses poils ? Quelle idée saugrenue ! Dans un article sur les dangers de l’épilation à la cire et au rasage, un célèbre magazine féminin proposait comme seule alternative l’épilation définitive. A aucun moment il n’était question de ne pas s’épiler et de laisser pousser ses poils.
La représentation de la femme se fait sans poils, point barre. La pression sur les corps sans poils est donc bel et bien présente et ancrée.
La perception des poils : de la honte d’être poilue
Dans l’étude « Perception of body hair on white women : Effects of labeling (2001)1 », on apprend que les femmes avec des poils sont jugées comme étant, entre autres, « moins amicales, morales » … Mais aussi « plus agressives et indépendantes ».
« Ah oui quand même », s’exclame le petit-ami de Léa2 avec un air de dégoût en voyant ses poils pubiens dépasser de sa culotte, à la fin du 1er confinement de mars 2020. Après un date, Gina reçoit ce sms « C’est pas grave de pas s’épiler, mais à ce moment-là, tu viens en jean ». La mère d’Anna la prévient : « Avec tous tes poils aux pattes, aucun homme ne voudra de toi ».
Les poils sont synonymes de négligence, les femmes doivent se cacher et pire, la sentence ultime : la croyance qu’aucun homme ne voudra d’une femme avec des poils. Une femme est sans cesse rappelée à son devoir d’être épilée et que son physique doit rentrer dans des cases bien spécifiques pour plaire (principalement aux hommes, puisqu’on part – à tort - du principe qu’une femme est hétéro). D’après un sondage IFOP3 « L’idée selon laquelle l’absence de pilosité est un critère de séduction reste plus associée à la féminité (73%) qu’à la masculinité (33%) mais s’avère en net recul dans la gent féminine (- 17 points par rapport à 2013) ». Un changement s’opère, doucement, lentement, on tord les codes, on les casse. Jeanne raconte :
« Un jour, je me rends chez mon date, nous nous étions déjà rencontrés à l’extérieur avant, il me plaisait bien. Les choses sérieuses commencent, tout se passe très bien jusqu’à ce que monsieur remarque mes poils aux jambes, sans aucune pression il me lâche : « C’EST DEGUEULASSE ». Pendant quelques secondes je suis restée bouche bée. Il faut préciser que j’ai les poils quasiment invisibles puisqu’ils sont blonds. Je ne rase/épile jamais mes jambes, je ne vois pas l’intérêt. J’ai fait de la natation synchronisée durant plusieurs années pourtant c’est la première fois de ma vie qu’on me fait une remarque sur mes poils. Féministe dans l’âme, je me suis rhabillée et je suis partie sans la moindre hésitation. Il était dépité. Pas une seule seconde je n’ai culpabilisé. J’espère que ça lui servira de leçon et qu’il changera de point de vue. »
Et le confinement a fait du bien. D’après la même étude IFOP « au total, aujourd’hui, une Française sur six s’épile moins qu’avant le premier confinement au moins une de ces parties du corps : aisselles, maillot, jambes. ». 14% des femmes arrêtent de s’épiler parce qu’elles souhaitent aimer leur corps au naturel, la même proportion de femmes souhaite se libérer des normes esthétiques relatives au corps féminin. Et pour 9% des Françaises, la vue de photos de personnalités avec des poils publiées sur les réseaux sociaux représentent un motif déterminant dans l’arrêt de l’épilation.
Nous avons donc besoin de représentations plus diversifiées auxquelles nous identifier. Nous avons besoin de voir des corps de femmes avec des poils.
Les poils sont là pour une bonne raison !
Les poils sont là pour une bonne raison : ils nous protègent. L’épilation peut avoir des conséquences, comme nous le rappelle La Dr Emily Gibson, directrice du centre de recherche sur la santé de l’Université de Washington qui dévoilait dans un article pour le site KevinMD.com en 20114 que “L’épilation pubienne irrite et déclenche une inflammation des follicules pileux, laissant des plaies microscopiques ouvertes (pas forcément visibles à l’oeil nu). Une épilation fréquente […] a pour effet d’entraîner une irritation régulière de la zone rasée ou épilée à la cire. Combiné à la lumière et à l’environnement humide des organes génitaux, cela devient un milieu propice à la multiplication des plus mauvaises bactéries pathogènes.
Certains cliniciens constatent que les zones pubiennes et les organes génitaux fraîchement rasés sont également plus vulnérables aux infections herpétiques en raison des blessures microscopiques exposées au virus, véhiculé par la bouche ou les organes génitaux. Il peut également y avoir une vulnérabilité à la propagation d’autres IST5.”.
La journaliste Rica Etienne et le Dr Jean-Louis Bohbot, co-auteur.ice.s du livre “Microbiote Vaginal” rappellent et nous conseillent fortement de ne pas nous épiler définitivement, car c’est selon eux ce qu’il y a de plus dangereux. Comme dit plus haut, les poils ont un rôle protecteur, afin d’éviter les infections de la peau, la lubrifier, permettre la migration des “bonnes bactéries” pour préserver la flore vaginale après un rapport sexuel … Par ailleurs, l’épilation au laser, peut dans certains cas perturber la lubrification de la peau en détruisant la petite glande sébacée qui en est chargée.
Il est donc nécessaire d’arrêter de banaliser cet acte. Et il est primordial de montrer des femmes avec des poils, pour que les nouvelles générations ne se construisent pas sur l’idée que leurs poils sont inesthétiques et sales. Que ces générations fassent réellement le choix de s’épiler ou non, en toute connaissance de cause, qu’elles aient plusieurs repères et que la norme ne soit plus aussi étriquée mais qu’elle réside dans la diversité.
Perceptions of Body Hair on White Women: Effects of Labeling (2001) - Susan A. Basow & Joanna Willis
Tous les prénoms ont été modifiés
“Le retour du poil, vers la fin des diktats ?… Enquête sur les pratiques dépilatoires et le poids des injonctions liées à l’épilation (2021)" - Rapport d’étude pour la plateforme de santé sexuelle Charles.co - IFOP
Attention : cela ne veut absolument pas dire que de ne pas s’épiler protège des IST.
merci!
Vive les poils ! Super article 👏👏👏