#18 Le complexe de la grosse poitrine
L’hypersexualisation de la poitrine peut-elle ruiner un allaitement ? Les gros seins sont-ils seulement des objets sexuels ? Peut-on arrêter de porter des soutifs quand on a une grosse poitrine ?
L’hypersexualisation de la poitrine peut-elle ruiner un allaitement ? Les gros seins sont-ils seulement des objets sexuels ? Peut-on arrêter de porter des soutiens-gorge quand on a une grosse poitrine ? La relation à son corps quand on est une femme est un véritable sujet, notamment sujet de complexes et de santé mentale. Mais la relation à sa poitrine, et d’autant plus quand elle est grosse, c’est “un sujet dans le sujet”, comme l’explique Caroline, 39 ans, fondatrice du compte @lamecaniquedescycles qui accompagne les femmes autour de la fertilité, du SOPK et de l’acceptation de soi.
Grosse poitrine et regard des autres
Je suis grosse (j’utilise volontairement ce mot afin de se le réapproprier de façon positive) et j’ai une grosse poitrine. J’ai été confrontée assez tôt, vers 12/13 ans, ce que ça implique d’avoir une poitrine développée et au regard des garçons. Ma poitrine a toujours été un sujet. Un sujet de blagues dans la cour d’école ou alors un sujet de “chose à reluquer”, dans la rue et en grandissant, en études ou au travail. Et puis un sujet d’abus, puisque quand j’étais plus jeune, les garçons se permettaient de la toucher sans me demander, comme si j’étais une chose ou un objet (à l’époque la notion de consentement était encore moins présente que maintenant). Et même pour moi, c’était un sujet très présent vu qu’elle était grosse, elle était difficile à habiller, qu’il s’agisse de vêtements ou de sous-vêtements et c’est quelque chose que je n’ai jamais aimé. Tout ça s’inscrivait dans un rapport au corps plus compliqué à cause de mon poids. En tant que grosse, j’avais plutôt envie de me cacher, si je reviens 10/15 ans en arrière, j’avais envie de passer inaperçue. Et donc cette poitrine, c’était en fait une “surcouche” à mon poids qui m’embêtait déjà.
Le complexe de l’allaitement
Je n’avais pas conscience que ma poitrine était sexualisée, je ne mettais pas de mots dessus. Ça m’a explosé à la tête quand j’ai eu mon petit garçon et que j’ai souhaité l’allaiter. Quand tu allaites, tu es tout le temps confrontée à tes seins, tu dois les regarder, les toucher. Et allaiter peut déjà être difficile, mais avec une grosse poitrine c’est encore plus compliqué. Même les professionnels ne savent pas forcément gérer, les positions qu’on te conseille dans les bouquins ne sont pas adaptées aux grosses poitrines. Ma grosse poitrine n’a, pour le coup, jamais été un sujet dans l’allaitement, alors que rétrospectivement, je pense qu’on aurait dû me dire de me mettre dans la position qui me convenait. Les positions d’allaitement qu’on recommande dans les livres ne sont pas forcément adaptées aux grosses poitrines. Personne, aucune puéricultrice, sage-femme ou professionnel de santé ne m’a dit que la taille de ma poitrine était quelque chose à prendre en compte dans l’allaitement alors que c’est important. Je crois qu’ils n’y pensent même pas, qu’ils ne s’en rendent pas compte. Mécaniquement il n’y avait pas de problème à part cette histoire de positions (et les autres déconvenues habituelles qui vont avec l’allaitement) … Donc personne n’a compris ou cherché à comprendre pourquoi mon allaitement se passait si mal.
J’étais terrorisée à l’idée qu’on voit le moindre bout de mon sein, d’ailleurs c’était impensable d’allaiter en public, même devant mon compagnon je n’étais pas à l’aise. J’ai réalisé que mon complexe était bien plus important que ce que je pensais, je ne supportais pas ma poitrine, ces seins qui sont moches. Je n’en avais pas conscience au moment de mon allaitement, mais j’avais un rapport compliqué à la notion d’allaitement à cause de cette sexualisation permanente de la poitrine. J’ai donc allaité 1 mois et demi dans une souffrance psychologique abominable. Les professionnels de santé ne m’ont pas poussée à continuer ou mis la pression, mais ils n’ont pas cherché à comprendre, on ne m’a même pas demandé comment je me sentais alors que ce n’est pas forcément facile d’arrêter d’allaiter. Je ne me l’expliquais pas non plus, je n’arrivais pas à mettre de mots dessus et je mettais ça aussi sur le compte du post-partum. En fait j’étais paumée entre “les seins c’est pour la sexualité” ou “est-ce que c’est pour nourrir mon fils” ? Désormais je peux dire que l’hypersexualisation de la poitrine a fait capoter mon allaitement.
La poitrine, cet objet sexuel
J’ai toujours eu cette idée que la poitrine est un objet sexuel parce que je l’ai vécu comme ça. Quand tu atteins un certain stade de taille de poitrine, même dans un entourage proche, les regards sont très insistants. Qu’il s’agisse des compagnons de tes copines ou du mec qui vient réparer un truc chez toi. A croire qu’ils n’ont pas conscience que ça se voit qu’ils sont en train de mater. Je ne dis pas que tous les mecs font ça, mais une majorité d’entre eux et à une époque, c’était tout le temps. Ces regards insistants me faisaient me sentir mal. Tu te demandes “c’est uniquement ça qui t’intéresse” ? En vieillissant, c’est devenu un filtre. Ça m’arrive moins, mais un mec qui fait ça est d’office catalogué comme quelqu’un avec qui je n’aurai pas d’échanges. C’est un red flag ++. Mais jeune c’était une déception, parce que moi je n’ai jamais su en jouer ou en faire un atout, je l’ai porté comme une tare. Je rêvais d’être une fille toute menue, ce que je n’ai jamais été, donc je n’avais pas envie d’être la fille qui avait des gros seins. Et c’est pénible d’être toujours ramenée à ça. C’était paradoxal, d’être à la fois la fille grosse qui “trouvera jamais de mec” et en même temps t’intéresses quand même mais seulement pour cet aspect poitrine, ça fait une espèce de distorsion et tu ne sais plus où te placer. Je pensais que les regards des mecs sur ma poitrine disaient des choses sur moi alors qu’en fait ça disait des choses sur eux, mais je n’étais pas suffisamment sensibilisée au féminisme. Comme par exemple, lors de mon week-end d’intégration en école de commerce, le concept était de classer les filles par ordre de taille de poitrine, et je me suis retrouvée en haut du classement. C’était frustrant de me dire que lorsque les garçons me remarquaient, c’était que ça qui pouvait éventuellement les intéresser. Maintenant je suis moins exposée à tout ça, parce que j’ai fini mes études, je ne vais plus en boîte (où ça arrivait aussi qu’on se permette de toucher ma poitrine) et je suis en couple. Ça me va bien de vieillir parce qu’on me fiche la paix.
Le décalage du soutien-gorge
Jamais je ne pourrai faire de no bra en public, si moi je suis prête, les gens ne le sont pas et je pense que ce serait un carnage. Mais désormais je le fais chez moi et c’est un pas énorme pour moi. Maintenant j’enlève mon soutien-gorge très régulièrement, il y a 2/3 ans, c’était impensable. Ça aide à se reconnecter à son corps, on s’éloigne des critères de beauté, et c’est hyper confortable. J’ai complètement arrêté les soutiens-gorge à armatures qui te rentrent dans les bras et qui te laissent des marques permanentes. Je suis passée aux brassières et aux soutiens-gorge sans baleines. Il y a quelques années, je n’aurais pas pu, parce que la poitrine que j’ai avec une brassière ressemble à celle que j’ai au naturel et je n’aurais pas assumé. Quand je portais un soutien-gorge avec de grosses armatures, ça me donnait comme résultat une poitrine hyper rebondie et relevée. Sauf que ça ne ressemble pas du tout à la poitrine naturelle et donc quand t’enlèves ton soutif, t’as une souffrance parce que le décalage est trop grand. Le soutien-gorge modifie l’apparence de la poitrine et ça fait croire à tout le monde que le sein a une seule forme acceptable. Porter des soutiens-gorge sans armatures ou des brassières permet de se reconnecter à ce à quoi ton corps ressemble vraiment.
Le body neutrality pour accepter son corps
J’ai longtemps subi l’hypersexualisation de la poitrine sans pouvoir mettre de mots dessus et ton livre “No Bra” m’a aidée à comprendre tout ça, il y a un avant et un après “No Bra” pour moi. Je pensais que mon complexe par rapport à mes seins était rattaché à celui que j’avais par rapport à mon corps qui n’était pas comme je voulais alors qu’en fait c’est un problème à part. Il y a un vrai sujet autour de la poitrine et par extension de l’allaitement, c’est un sujet dans le sujet (du corps NDLR). Ma relation à ma poitrine est bien meilleure qu’avant, aussi parce que j’ai compris qu’on n’était pas obligée d’adorer son corps et de se trouver hyper belle pour être bien. Le neutre c’est bien aussi, ma poitrine est là, elle est comme elle est, et c’est tout. Je suis bien plus détachée de tout ça aujourd’hui, je suis réconciliée, ma relation à ma poitrine est apaisée. Elle est mieux sans armatures et moi je suis mieux dans ma tête.
Merci à Caroline de La mécanique des cycles pour cet entretien passionnant. Retrouvez là sur son compte Instagram.
Si vous aussi vous souhaitez lire No Bra, vous pouvez l’acheter ici.
Pour être honnête, j'ai une "grosse" poitrine depuis des années. Lors de l'allaitement de mon fils, il y a 9 ans, ont ne m'a pas conseillée correctement, et je me demande si la taille de poitrine n'était pas aussi responsable de mes difficultées à allaiter à l'époque. Après, j'étais assez jeune, en plus, ce qui n'avait pas aidé..
Et effectivement le regard des gens, l'intérêt uniquement sur la poitrine, c'est fatiguant, heureusement que les gens ne sont pas tous comme ça