#7 Menstruations et sexisme aux toilettes
La saison des vacances et des festivals commence. Et avec elle, arrive une problématique qu’une bonne partie d’entre nous va rencontrer : devoir gérer ses règles et les changements de protections périodiques. Je voyage énormément, pendant presqu’un an, j’ai fait un trip en Europe avec mes ami·e·s, alors mes règles en voyage, je les ai eues un sacré paquet de fois. Et vous savez quoi ? À chaque fois ça été un casse-tête, à cause des toilettes.
Comme cette fois à Ibiza, où il fallait absolument que je vide ma cup. Alors on a trouvé un bar / restau avec l’amie avec qui j’étais pour que je puisse la changer (ce qui implique donc de payer une conso, si on pousse un peu le truc, ça veut dire que ça me coûte de l’argent de changer ma cup). Sauf que, pas de bol, non seulement les toilettes ne fermaient pas, mais en plus, le lavabo était à l’extérieur. Alors j’ai eu de la chance, on va dire, il n’y avait personne qui attendait après moi. Donc j’ai du retirer ma cup, en priant pour que personne n’ouvre la porte à ce moment-là, sortir des toilettes les mains ensanglantées en galérant à me rhabiller et à ouvrir la porte pour ne pas foutre du sang partout, en priant de nouveau pour que personne n’arrive parce que même si je suis à l’aise avec mes règles, à en parler publiquement comme je le fais aujourd’hui, ça reste une situation dans laquelle je me suis retrouvée extrêmement vulnérable, laver ma cup avec un mini filet d’eau qui sortait du robinet, parce qu’évidemment il n’y avait aucune pression, sinon c’est pas drôle. Je pense que j’ai du mettre 5 minutes à la laver correctement. Et ensuite, j’ai du retourner dans les toilettes pour pouvoir enfin la remettre, toujours en priant que personne n’ouvre la porte.
Ça été une épopée sans nom. Et ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, et des histoires comme ça, je pense qu’on en a tous·tes ! Qu’il s’agisse de toilettes pas adaptées, qui manquent de papier, dont les chasses d’eau ne fonctionnent pas correctement, avec les lavabos à l’extérieur … On s’est tous·tes retrouvé·e·s en galère un jour à cause de ça. Et dernièrement, une histoire similaire est arrivée à mon amie Camille, et en en discutant avec elle, je me suis rendue compte du stress que ça représentait pour nous. Et c’est définitivement pas normal. Ce sujet est important, il en va de notre santé physique ET mentale. Parce que n’oublions pas le risque de syndrome du choc toxique, si l’on ne peut pas changer correctement nos protections périodiques. Ce sujet est donc, à mon sens, un problème de santé publique.
Je laisse la parole à Camille, qui va vous raconter sa mésaventure lors de son dernier festival …
Règles, toilettes et festival
“Je travaille dans la communication culturelle et je collabore avec plusieurs festivals dans ma région. Je travaille donc en amont du festival, mais aussi sur place, où je couvre les événements pendant les 2 ou 3 jours de festival.
Et pour ce festival là, qui commençait un vendredi, une idée m'a hantée 2/3 jours avant le début : je vais avoir mes règles PILE à ce moment-là.
Alors, je suis plutôt à l'aise avec mes règles, je ne suis pas du genre à appréhender ce moment ... Sauf quand je sais que ça va être galère et que je vais me retrouver coincée. Exemple parfait : avoir ses règles en festival.
Il faut savoir que mes règles durent 4 jours et que les 2 premiers jours, c'est Cascada, avec un flux important. C'est la raison pour laquelle, les 2 premiers jours, je mets une cup (que je change toutes les 4/6 heures) + une culotte menstruelle, pour être tranquille, et pour ne pas être trop embêtée avec mon flux abondant des premiers jours.
Premier jour de festival auquel je n'ai jamais assisté, donc impossible de savoir comment les toilettes étaient faites à l'avance pour m'organiser.
Vraies toilettes dans un bâtiment normal ? Toilettes sèches ? Toilettes chimiques portatives ? Bingo troisième option ! Donc pour résumer, mini toilettes sans eau avec une poignée pour "tirer la chasse" avec un liquide chimique bleu, et tout petit lavabo avec une pédale pour tirer un filet d'eau. Pas de lumière, pas de savon, et surtout, pas de place en fait, tout simplement.
Quand on travaille sur un festival, autant vous dire qu'on arrive très tôt et on repart très tard, et je me suis donc creusé la tête pour savoir comment j'allais faire pour changer ma cup, avec quasi pas d'eau, pas de savon pour me laver les mains, et à l'aveugle ... Donc j'ai cherché partout s'il n'y avait pas d'autres sortes de toilettes sur le site (en loges, au coin VIP, n'importe où ...) : rien.
J'avais soit l'option d'aller changer ma cup dans le noir avec une hygiène déplorable, soit de laisser ma cup en moi plus de 8 heures d'affilées, et en suivant l'impro du débordement de mon flux (le jean, tâchera ou tâchera pas ?)
Le casse-tête, sachant que, quand on travaille sur un festival, on court partout, et on a bien d'autres choses à penser que son flux menstruel. Et c'est sans parler des douleurs du Jour 1, mais ça c'est une autre histoire ...
Finalement, j'ai fini par trouver un WC normal dans un vieux bâtiment, avec un petit lavabo et du liquide vaisselle (Youhou !) en guise de savon pour me laver les mains avant et après le vidage de cup. Et j'ai trouvé ce chiotte par miracle, vers minuit, donc autant vous dire que ça faisait déjà longtemps que ma cup était en moi ....
Moralité, je me suis sentie bien seule, à chercher désespérément un chiotte avec un minimum d'hygiène juste pour ne pas finir avec un syndrome du choc toxique dans le cadre de mon travail, tout ça parce que je n'ai pas eu le choix que de naître avec un utérus, dans une société qui ne pense pas aux utérus.
Au final, j'en ai parlé à quelques personnes de mon équipe, des hommes, en leur expliquant ma problématique : il se trouve que malgré tout le soutien et la bienveillance qu'ils ont eu à mon égard, ils n'y avaient jamais pensé avant ... Il serait peut-être temps que les toilettes et l'hygiène ne soient pas, à part entière, un objet d'inégalité, surtout dans des lieux festifs ! On est alors en droit de se demander par qui les toilettes portatives ont été pensées, parce qu’on sait pour qui elles ne le sont pas … Quoiqu’il en soit, il y a urgence à régler ce problème pour les personnes avec un utérus, les personnes menstruées, qui représentent la moitié de la population mondiale !”
Il existe des toilettes portatives qui ont été conçues par et pour les femmes1, malheureusement elles ne sont pas du tout répandues, et surtout, elles ne sont pas nécessairement adaptées au changement des protections périodiques.
L’inégalité aux toilettes
Et sans même parler de menstruations … Aller aux toilettes quand on a un utérus, c’est toujours une galère. Le temps d’attente dans les toilettes dites “pour femmes” serait 34 fois supérieur à celui des toilettes “pour hommes” au Royaume-Uni, d’après les recherches d’Amber Probyn et Hazel McShane, qui sont à l’origine du concept Peequal, des urinoirs plus égalitaires2. Et si le temps d’attente est plus long côté “femmes”, c’est pour la simple et bonne raison que les toilettes “pour hommes” sont plus nombreuses3 !
Combien de fois j’ai dû attendre plus de 30 minutes en festival pour pouvoir aller pisser tant la file d’attente était longue ? Combien de concerts j’ai dû louper parce que “si on y va pendant, y aura moins de monde et on attendra moins longtemps” ? Combien de fois je me suis retenue de boire, même de l’eau, parce que je savais que je n’allais pas avoir accès à des toilettes à temps ? Et parlons un peu de l’hygiène … Combien de fois je n’ai pas pu pisser dans des bars / restaurants parce que c’était vraiment dé-gueu-la-sse ? Une personne avec un pénis n’aura pas ces problèmes là : elle pourra pisser partout où elle en a envie, même dans la rue, sans que ça ne lui pose aucun souci d’un point de vue hygiène.
J’aimerais qu’on puisse en dire autant, et qu’enfin, les toilettes soient pensées pour les femmes et personnes avec un utérus, pour qu’on ne mette plus notre santé en danger, pour qu’on n’ait plus besoin de se retenir pendant des heures … Et pour que ce soit confortable, tout simplement ! Il existe des solutions4 (repenser la structure et le ratio urinoirs / toilettes, mise en place de toilettes mixtes …) , elles ne sont simplement pas mises en place.
À bientôt pour une prochaine newsletter !